Appelez-nous maintenant:
Après avoir vu les critères positifs de définition de la qualité de réfugié, devra-t-on s’intéresser aux critères négatifs. En ce sens, l’on distingue les clauses d’inclusion, précédemment vues dans le dernier article, des clauses d’exclusion et des clauses de cessation de la qualité de réfugié.
Ces deux dernières clauses, renvoyant aux critères négatifs, impliquent qu’au-delà des conditions qui permettent de se prévaloir de la qualité de réfugié, il y a des conditions qui empêchent la reconnaissance ou entraînent la perte de cette qualité.
Ainsi donc, il existe d’abord des clauses d’exclusion que le législateur togolais a prévu à l’article 4 de la loi N° 2016-021 du 24 août 2016 portant statut de réfugié au Togo. Cet article reprend en substance les dispositions des conventions de Genève et des conventions de l’OUA pour ainsi exclure la reconnaissance de la qualité de réfugiés à certaines catégories de personnes, notamment :
-
- Celles ayant commis un crime contre l’humanité, un crime contre la paix et un crime de guerre au sens des lois togolaises et les instruments internationaux ratifiés par le Togo
-
- Celles ayant eu des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies
-
- Celles ayant commis un crime grave de droit commun en dehors du territoire togolais
Genèse des clauses d’exclusion
-
- La première catégorie n’est pas sans rappeler le contexte dans lequel la convention de Genève de 1951 avait été conclue. On venait de sortir de la Seconde Guerre mondiale et cette convention visait à protéger certaines victimes issues de groupes qui avaient fait l’objet de persécutions particulières du fait des dérives du principe de nationalité ayant sévi en Europe depuis la fin de la Première Guerre mondiale jusqu’à son paroxysme avec l’holocauste. C’est ce qui explique la portée très limitative de la convention de Genève de 1951 en ce que d’une part, elle ne reconnaissait la qualité de réfugiés qu’à certaines victimes de la période d’avant 1951. D’autre part, elle n’envisage la notion de réfugié que par le prisme du concept de persécution en raison des motifs déjà évoqués (race, religion, groupe social…). L’on sait très bien que le protocole de New-york de 1967 à la convention de 1951 ainsi que des instruments régionaux (Convention de l’OUA pour l’Afrique et différentes directives pour l’Europe par exemple) sont venus élargir la portée temporelle et matérielle de la convention de Genève de 1951. Il reste qu’en réponse aux atrocités de la Seconde Guerre mondiale, les accords de Londres ont permis de mettre sur pied des tribunaux pénaux internationaux dont la compétence va couvrir les crimes de guerre, crimes contre la paix et crimes contre l’humanité. Il n’est donc pas surprenant que la convention de Genève, visant aussi à prendre en compte la situation des victimes déplacées de la Seconde Guerre mondiale, on ne pouvait qu’exclure du régime de la protection qu’elle entendait mettre sur pied au profit des groupes persécutés, ceux qui ont participé à la survenance de cette situation.
-
- Par extension, on comprend également que certaines personnes, comme celles ayant violé les Principes et buts des Nations unies, organisation née dans le sillage de la fin de la Seconde Guerre mondiale en réponse aux atrocités de cette guerre, soient exclues du bénéfice de la convention de Genève.
-
- L’exclusion de la dernière catégorie de personnes de la protection instituée par la convention de Genève, à savoir les auteurs de crimes graves de droit commun, reste moins compréhensible même si l’on en perçoit un certain sens dès lors que l’on prend en compte l’importance légitime pour l’État d’accueil de ne pas accueillir sur son territoire des repris de justice qui pourraient être une menace pour sa sécurité intérieure.
Délimitation des clauses d’exclusion
Le législateur togolais a pris le soin de préciser la portée des clauses d’exclusion qui, d’après le même article 4 de la loi N° 2016-021 du 24 août 2016 portant statut de réfugié au Togo, ne peuvent pas s’étendre au conjoint, à la conjointe et aux personnes dépendantes pour ainsi dire que nul ne peut être privé de la qualité de réfugiés en raison des agissements d’autrui. Cela semble logique dès lors que cette précision est mise en perspective avec le principe de la personnalité des peines eu égard à la dimension pénale des clauses d’exclusion. Plus largement, la responsabilité est toujours individuelle. Pour autant, comme le précise le même article, les dépendants peuvent perdre leur qualité de réfugiés si le demandeur principal est exclu sauf s’ils démontrent à titre personnel avoir la qualité de réfugié. Autrement dit, le conjoint, la conjointe et les personnes dépendantes peuvent perdre leur qualité de réfugiés si la qualité leur a été reconnue en raison d’un lien conjugal ou de dépendance avec une personne qui a été exclue par la suite.
Limites des clauses d’exclusion
-
- Les clauses d’exclusion dans le contexte togolais posent deux difficultés. La première tient à l’incomplétude de la loi en ce qu’elle omet d’intégrer certains éléments de la convention de l’OUA, notamment l’exclusion des personnes ayant commis des agissements « contraires aux objectifs et aux principes » de l’OUA. On peut supposer toutefois que le législateur a entendu adopter un raisonnement a fortiori, c’est-à-dire qui peut le plus peut le moins, puisqu’il a inclus les personnes ayant eu des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies dans la clause d’exclusion. En d’autres termes, les nations Unies étant une organisation à vocation universelle, violer ses principes et buts, c’est aussi violer les principes et buts de l’OUA, organisation à vocation régionale, d’autant plus que les premiers sont incorporés à la convention de l’OUA. En dépit de cette analyse, l’on doit reconnaître que le législateur togolais à occulter la spécificité certaine de l’OUA qui ne peut être négligée si l’on sait bien que le particularisme africain, comme l’illustre de manière un peu folklorique la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, a été et reste un enjeu important pour les États africains dans la période post-coloniale.
-
- Aussi, la difficulté que posent les clauses d’exclusions du droit togolais, s’agissant notamment des personnes ayant commis des crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes contre la paix, est l’imprécision quant à la situation des personnes visées : s’agit-il des personnes déjà condamnées ? s’agit-il des personnes suspectées ? Dans la dernière hypothèse, l’exclusion sur la base d’une suspicion constitue une véritable atteinte à la présomption d’innocence d’autant plus que la convention de l’OUA, tout comme la convention de Genève, est moins attentatoire aux droits en indiquant que la clause d’exclusion vise les personnes pour lesquelles « L’État à des raisons sérieuses de penser ».
-
- Par ailleurs, l’appréhension des crimes visés par la première clause d’exclusion peuvent poser problèmes à différents égards. Premièrement, le Togo n’étant pas partie au statut de Rome qui reste le seul instrument international définissant les crimes internationaux visés, on peut se demander à quel instrument international ratifié par le Togo se réfère-t-il ? cette limite est compensée par le fait que le législateur renvoie également au droit togolais, lequel droit définit le crime de génocide, le crime de guerre et le crime contre l’humanité respectivement aux articles 143, 145 et 149 du code pénal togolais de 2015. On note ici la variation des crimes internationaux du code pénal à ceux visés par la loi sur le statut des réfugiés, ce qui nous amène à la deuxième difficulté d’appréhension posée par la clause d’exclusion visant les crimes internationaux. En effet, au moment où la convention de Genève de 1951 avait été négociée, le droit international, à la lueur des accords de Londres sus-évoqués, ne connaissait que les crimes contre la paix, crime de guerre et crime contre l’humanité. Or, d’une part, le crime contre la paix a disparu complètement du paysage juridique contemporain. Il apparaît comme une relique dont le plus grand succès a été la codification par la Commission du droit international (CDI) des Nations unies. Mais le projet de la CDI datant de 1998 n’a pas été entériné par les États dans le cadre d’un véritable accord international, quoique le crime contre la paix trouve son successeur dans le crime d’agression qui lui-même, bien que prévu par le statut de Rome, n’a été défini que des années plus tard par le protocole de Kampala complétant le statut de Rome. La définition du crime contre la paix devra donc directement s’appuyer soit sur le protocole de Kampala auquel le Togo n’est pas partie, soit sur le projet de code de la CDI qui n’a pas de valeur juridique contraignante. Une autre voie, contraire cependant à la lettre de la loi togolaise sur le statut des réfugiés (en effet, la loi renvoie aux instruments ratifiés, donc au droit d’origine conventionnelle), serait également d’envisager la définition de ces crimes par le prisme de leur nature coutumière en tant qu’éléments de droit international. Alors même que ce problème n’est pas résolu, le caractère suranné de la clause d’exclusion visant les crimes internationaux ressort du fait qu’elle n’intègre pas le crime de génocide qui reste l’une des infractions les plus importantes du droit international pénal contemporain.
-
- Enfin, le législateur togolais omet une précision des clauses d’exclusion qui n’est pas anodine. En effet, là où la convention de l’OUA prévoit l’exclusion des personnes ayant commis « un crime grave de caractère non politique », le législateur togolais se contente d’évoquer « un crime grave de droit commun ». Cela veut dire que tous les crimes sont susceptibles de conduire au Togo à l’exclusion du bénéfice du statut de réfugié là où l’OUA a entendu accorder la protection aux personnes condamnées pour des crimes graves politiques, ce qui revêt une importance dans le contexte africain de persécutions pour des opinions politiques. En ce sens, l’on sait que l’appareil judiciaire peut être utilisé pour contraindre certains opposants politiques à la fuite. De plus, il n’est pas exclu que des opposants soient effectivement auteurs d’infractions dans le cadre de leur lutte politique. Cette dernière hypothèse, sous-entendant que la violence (donc l’infraction pénale) est un procédé ou encore un succédané de la lutte politique en Afrique, fait parfaitement écho aux conditions de combat dans lesquelles les Etats africains ont accédé aux indépendances. Au moment où l’on négociait la convention de l’OUA de 1969, on ne pouvait pas ignorer que certains Etats n’étaient pas encore indépendants alors même que l’apartheid sévissait toujours en Afrique du Sud. Alors même qu’ils se seraient rendus coupables d’actes pénalement répréhensibles en lien avec leurs activités politiques, le statut de réfugié ne pouvait qu’être envisagé au profit de ceux qui seraient condamnés à l’exil à cause de leur combat politique.
En substance, les clauses d’exclusion, malgré leur pertinence et leur portée bien délimitée, souffrent de limites qui font planer sur l’office du juge de l’asile togolais le risque d’inconventionnalité (contraire aux conventions que la loi met en oeuvre) et d’illégalité (contraire aux dispositions de la loi) de ses décisions.
Quant aux clauses de perte de la qualité de réfugiés, prévues par l’article 8 de la loi N° 2016-021 du 24 août 2016 portant statut de réfugié au Togo, leur logique semble plus évidente et ne s’inscrit pas forcément dans une analyse historique, ni ne soulève de difficultés juridiques particulières. En effet, en droit togolais, l’on peut perdre sa nationalité :
-
- si le réfugié s’est réclamé volontairement à nouveau de la protection effective du pays dont il a la nationalité ;
-
- si, ayant perdu sa nationalité, il l’a volontairement recouvrée;
-
- s’il a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection effective de ce pays
-
- s’il est retourné volontairement s’installer dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d’être persécuté ;
-
- si les circonstances à la suite desquelles il a été reconnu réfugié ont cessé d’exister et il ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité ;
-
- si, n’ayant pas de nationalité, du fait que les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d’exister, il se réclame à nouveau de la protection du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle ;
-
- s’il a obtenu l’asile dans un autre pays ou l’autorisation d’y résider ;
-
- s’il fait l’objet d’une mesure d’expulsion conformément aux dispositions de l’article 22 de la présente loi ;
-
- s’il a obtenu la nationalité togolaise.
Bamidayé K. ASSOGBA, PhD